CONFéRENCE DU DALAï-LAMA : PARIS N’OUVRE PAS LES BRAS à SON CITOYEN D’HONNEUR

Il a beau être citoyen d’honneur de la capitale depuis 2009, le dalaï-lama ne semble pas vraiment en odeur de sainteté dans les couloirs de la mairie de Paris. Même pour une banale et anodine visioconférence sur les conséquences du changement climatique. Depuis trois ans, l’association Lhakar France et le sinologue Alain Wang tentent d’organiser un événement sur la préservation de la planète avec, pour invité d’honneur, le chef spirituel des Tibétains. «L’idée est d’avoir un échange sur la crise climatique, sur la dégradation de notre environnement naturel et ses conséquences pour appeler à une prise de conscience et à une action collective, explique Céline Menguy, la présidente de l’association dont le but est de préserver la culture tibétaine et défendre les droits humains au Tibet. Le dalaï-lama réfléchit depuis longtemps sur les problèmes environnementaux et pourrait partager ses réflexions et sa vision.»

Rien de politique sur la position de la Chine vis-à-vis du Tibet ou sur l’indépendance de la région occupée par Pékin. A priori, pas de quoi fâcher le régime de Xi Jinping, toujours très sourcilleux sur cette question. Mais de silences en tergiversations et évitements le projet a traîné en longueur, à tel point qu’il subsiste toujours alors que la France se prépare à recevoir en visite d’Etat, les 6 et 7 mai, le président de la Chine pour le 60e anniversaire des relations diplomatiques entre les deux pays.

Trop âgé (il a 88 ans) pour voyager loin et longtemps, le chef religieux des Tibétains s’exprimerait en visioconférence de la ville indienne de Dharamsala, où il vit, précisent Céline Menguy et Alain Wang dans leur présentation. Ils suggèrent les noms de plusieurs intervenants possibles, dont le climatologue et glaciologue Jean Jouzel, la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte, la militante écologiste Camille Etienne et le député européen Raphaël Glucksmann, qui se déclare prêt à participer. «C’est également l’occasion de mettre en avant les engagements écologiques de la Ville de Paris sur la scène internationale», défend Céline Menguy.

Pas de partenariat officiel

Le projet est soumis une première fois à la mairie de Paris au printemps 2021. Les initiateurs suggèrent que la conférence ait lieu le 6 juillet, l’anniversaire du dalaï-lama. Et souhaitent que la maire de Paris, Anne Hidalgo, et Jean-Luc Romero, son adjoint chargé des droits humains et par ailleurs président d’honneur de l’association Lhakar France, prennent la parole. Une réponse par mail leur parvient le 3 mai. «La Maire de Paris ne pourra être présente et par conséquent nous ne pouvons organiser cela à l’Hôtel de ville de Paris», écrit Arnaud Ngatcha, adjoint chargé des relations internationales, qui propose que l’événement se tienne à la mairie du XIe arrondissement, dont le maire a accepté d’organiser l’événement dans ses locaux. Mais pas d’invitation avec un courrier à l’en-tête de la mairie de Paris, ni partenariat officiel, comme cela est précisé par téléphone à Céline Menguy.

Qu’à cela ne tienne, les organisateurs décident de reporter l’événement pour pouvoir profiter de la présence d’Anne Hidalgo et du parrainage de la ville. Le projet refait surface en 2023. Le 24 janvier, Lhakar France et Alain Wang rencontrent les responsables de l’Académie du climat créée par la maire de Paris, Sarah Alby et Serge Orru. «L’accueil de l’équipe a été très enthousiaste, se remémore Céline Menguy, mais rien n’a été décidé. On a attendu, en vain. A nouveau, pas de réponse officielle, pas de décision écrite, malgré une relance. Tout s’est bloqué.» Contacté par Libération, Serge Orru n’a pas donné suite à notre demande d’interview.

«Peu d’intérêt»

Le mois suivant, une invitation rédigée par Lhakar France à l’attention du dalaï-lama est communiquée au cabinet de la maire pour expédition officielle. «Neuf mois plus tard, aucune information sur l’envoi par vos services de cette lettre essentielle, écrit Céline Menguy dans une lettre adressée à la maire le 20 octobre 2023. Je m’interroge du “peu d’intérêt” qui semble être apporté à ce projet écologique et humaniste et à la parole “pertinente” sur la question environnementale mondiale d’un citoyen d’honneur de la ville de Paris», poursuit la responsable associative dans son courrier.

Peu après, le dalaï-lama est invité par Anne Hidalgo – comme beaucoup d’autres – à célébrer la journée internationale des droits humains, le 10 décembre 2023. «Le courrier a été envoyé au dernier moment et simplement adressé à Tenzin Gyatso, sans référence à son statut, sans les formules de politesse et de respect que mériterait un responsable religieux», note Céline Menguy. Ou, à tout le moins, un citoyen d’honneur, accessoirement Prix Nobel de la paix.

Certains évoquent une «question difficile», se «démènent pour faire avancer un dossier compliqué», ajoute la présidente de l’association Lhakar France en citant des échanges qu’elle a eus avec des responsables municipaux. La mairie de Paris craint-elle les réactions de Pékin si elle organise un événement avec le dalaï-lama ? Une telle conférence risquerait-elle à ses yeux de perturber la commémoration du 60e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la France et la Chine ?

Sommet interreligieux

Nouveau rebondissement le 7 février : Paul-David Regnier, délégué général aux relations internationales de la ville de Paris, organise une réunion. Il soumet l’idée d’un sommet des religions autour de la question de l’environnement, auquel participerait le dalaï-lama, aux côtés d’autres dignitaires religieux, mais plus en invité d’honneur. Une manière de le rendre moins visible ? Alain Wang est présent. «La mairie souhaiterait désormais organiser une rencontre en fin d’année, explique le sinologue, peut-être au moment de la venue du pape en décembre pour l’inauguration de Notre-Dame.» Mais aucune date n’est fixée. Avec Céline Menguy, Alain Wang retravaille alors le projet pour préciser que le leader bouddhiste pourrait être entouré de «représentants des principales religions qui interagiront avec lui». Puis, ils envoient le document amendé. Retour à la case silence, pas de réponse depuis février.

«Ce projet n’est pas remonté jusqu’à moi, expliquait mercredi à Libération Arnaud Ngatcha, l’adjoint aux relations internationales de la mairie, qui disait n’avoir pas connaissance de cette initiative, malgré des échanges avec les organisateurs. Nous sommes mobilisés sur les JO. En 2021, nous étions dans un contexte particulier, en plein Covid. Il y a peut-être des discussions au niveau administratif, mais pas au niveau politique, peut-être parce que ce projet n’est pas encore mature ou pas possible.»

Personnage cactus pour les dirigeants français

Ce n’est pas une nouveauté, le dalaï-lama reste un personnage encombrant et gênant pour les dirigeants occidentaux, soucieux de ne pas se fâcher avec la Chine communiste et de ne pas compromettre les relations commerciales. Lors de sa venue en 2016 en France, le chef spirituel des Tibétains avait été boudé par les autorités françaises. Huit ans plus tôt déjà, l’attribution de son titre de citoyen d’honneur de Paris n’avait pas été une promenade de santé. Le scrutin, en avril 2008, avait divisé les élus municipaux. Christophe Girard, alors adjoint PS au maire Bertrand Delanoë, et très hostile à cette initiative, était absent de l’hémicycle. De nombreux élus n’avaient pas pris part au scrutin. C’est en catimini, en petit comité dans son bureau auquel la presse avait eu accès, que Delanoë avait finalement remis le diplôme au dalaï-lama en juin 2009.

«Engager Paris»

Le maire PS avait alors salué les «qualités et le combat du dalaï-lama pour le dialogue entre les hommes et pour la paix». Et rappelé que ce diplôme n’était «ni une ingérence dans les affaires politiques chinoises ni le moyen pour prôner l’indépendance du Tibet» : «Je n’engage pas la France, mais Paris.» Avant de préciser qu’il n’avait reçu «aucune pression de l’Elysée et du Quai d’Orsay». Quelques mois plus tôt, en décembre 2008, Nicolas Sarkozy avait plongé dans le chaudron sino-tibétain en recevant des mains du leader bouddhiste une écharpe blanche lors d’une rencontre discrète à Gdansk en Pologne. Avant de donner des gages à Pékin, ulcéré par la rencontre.

Paris va-t-il à nouveau «s’engager» pour le dalaï-lama et le Tibet, comme l’avait fait Bertrand Delanoë ? Les autorités vont devoir arbitrer rapidement, d’autant que se profile une visite d’un représentant tibétain en France : Penpa Tsering, président du gouvernement tibétain en exil, sera en visite du 16 au 18 mai. Franchira-t-il le seuil de la mairie de Paris ? Rien n’est moins sûr. Sinon, il pourra toujours essayer de se faire inviter à la visioconférence du dalaï-lama. A condition de trouver une date, un lieu et un peu de courage politique.

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