TESLA SUPPRIME 14 000 EMPLOIS : TROIS POINTS POUR COMPRENDRE POURQUOI LE GéANT S’ENLISE

Pour certains, la file d’attente dure depuis deux heures. Devant l’usine Tesla du Nevada (Etats-Unis), les travailleurs du géant de l’automobile électrique passent les uns après les autres devant l’équipe de sécurité après être descendus de leur navette. Quelques-uns des 3 000 employés du site trouvent la scène étrange, comme le rapporte Business Insider. D’ordinaire, leurs badges ne sont pas scannés, mais simplement inspectés. Or, ce lundi 15 avril, non seulement ces derniers sont rigoureusement bipés. Mais, en plus, certains de leurs propriétaires sont renvoyés vers des camionnettes différentes. Ils en comprendront la raison quelques minutes plus tard : ils sont renvoyés.

Au total, sur les quelque 140 000 employés de Tesla, 10 % sont licenciés. Soit 14 000 personnes. Certains ont pu l’apprendre dès la veille au soir, le dimanche 14 avril, dans un courrier interne envoyé par le patron Elon Musk et obtenu par plusieurs médias. Le milliardaire s’exprime sur un ton résigné : «Il n’y a rien que je déteste davantage». Sans pour autant céder : «Mais cela doit être fait». Pour justifier cette décision, le chef d’entreprise évoque une société qui «a grandi rapidement» mais dont la croissance a créé des «doublons […] dans certaines activités». Dans la foulée de la nouvelle, deux hauts dirigeants, le chef du développement des batteries, Drew Baglino, et le vice-président des politiques publiques, Rohan Patel, ont annoncé également leurs départs. Sous les remerciements d’Elon Musk et les inquiétudes des investisseurs. Ventes au ralenti, concurrence rude, projets futurs un peu trop lointains… Libé fait le point sur les raisons derrière la mauvaise passe de Tesla, pour qui tout semblait rouler jusqu’à présent.

Les ventes en sous-régime

Les chiffres sont en berne. D’abord, le cours de Tesla à Wall Street est en chute libre de 31 % depuis le début d’année. Relativisons : le groupe - qui n’a pas donné suite à nos demandes d’interview - reste tout de même toujours valorisé à 527 milliards de dollars. Ensuite, sa production a reculé de 8,5 % sur le premier trimestre 2024, avec 433 371 voitures montées. Enfin, le constructeur n’a livré que 386 819 véhicules au total. De quoi amener le Figaro à dresser un constat : pour la première fois en quatre ans, ses ventes reculent au premier trimestre, de 8,5 %.

Pour justifier cette situation, l’entreprise a déballé un ensemble d’explications. Allant des difficultés d’acheminement rencontrées avec le conflit des Houthis en mer Rouge au sabotage revendiqué par un groupe d’extrême gauche de son usine allemande, mise à l’arrêt plusieurs jours. «La baisse des volumes est due en partie aux phases initiales de production de la nouvelle version de la Model 3 [l’une de leurs voitures, ndlr] dans notre usine de Fremont», en Californie, expliquait encore le groupe dans un communiqué. Mais un autre problème de taille plane sur la société : sa difficulté à vendre et à faire s’envoler la demande.

La semaine dernière, comme le souligne Business Insider, les analystes de la Bank of America ont abaissé leur objectif de cours Tesla (à savoir la valeur qu’ils pensent qu’une action aura à l’avenir) de 280 à 220 dollars. Pour justifier leur décision, ils argumentent : «Il semble que le principal facteur de la baisse des chiffres de livraison ait été la baisse de la demande de véhicules électriques dans toutes les zones géographiques, en particulier en Amérique du Nord, où les volumes de ventes de véhicules électriques sont restés largement stables depuis l’été 2023». Une perte progressive d’appétit du public que les experts imputent à deux raisons : la difficulté de Tesla à proposer de nouveaux produits grand public. Et à baisser ses prix. Pour donner un ordre de grandeur, la Tesla Model Y, voiture la plus vendue de 2023, affiche un prix autour des 40 000 euros.

La concurrence barre la route

Par ailleurs, la concurrence frappe à la portière. En l’occurrence, les rivaux chinois BYD et Li Auto. Si le secteur de l’électrique est investi depuis plusieurs années par les Dacia, Fiat et autres Renault, Tesla a pour la première fois été détrônée cette année. Au quatrième trimestre 2023, le champion chinois BYD (acronyme pour «Build Your Dreams», littéralement «Construisez Vos Rêves») a ravi à la société le titre du plus gros vendeur mondial de véhicules électriques, avec 526 409 livraisons contre 484 507 pour l’Américaine.

La boîte, connue en Europe pour ses bus électriques, est par ailleurs devenue le premier constructeur au monde à franchir le cap symbolique des 5 millions de véhicules électriques produits l’an dernier. Des résultats impressionnants, en partie dus au gouvernement chinois qui appuie sur le champignon à coups de gros chèques. Fin 2022, plus de 200 milliards de yuans (26 milliards d’euros environ) avaient été versés en subventions et allègements fiscaux pour l’achat de véhicules électriques, chiffre Ouest-France. Face à ce soutien, l’Union européenne s’est dite inquiète pour ses propres entreprises du domaine. En septembre, elle a ouvert une enquête sur des soupçons de concurrence déloyale.

A défaut de faire du bien aux finances de Tesla, l’envolée de la boîte asiatique, simple fabricant de batteries à l’origine, donne en tout cas une leçon d’humilité à Elon Musk. En 2011, le patron avait raillé le constructeur local, qu’il ne voyait alors «pas vraiment» comme un concurrent. Hilare, il moquait : «Vous avez vu leurs voitures ?»

Pas beaucoup de projets convaincants dans le réservoir

Dernier élément éclairant la situation délicate de Tesla : le fait que la société patine sur ses projets futurs. Cette dernière devait plancher sur une nouvelle voiture, la Model 2. Le véhicule devait être vendu à un prix beaucoup moins élevé que les autres, autour des 25 000 dollars (23 500 euros). Et donc être beaucoup plus grand public. Toutefois, il y a dix jours, l’agence Reuters a rapporté que le groupe y avait renoncé. Une information démentie très sommairement par Elon Musk sur X (ex-Twitter). «Reuters ment», a-t-il écrit sans autre forme de précision. Et sans jamais en reparler.

Comme le souligne Le Figaro, en dehors du Cybertruck, pick-up en acier vendu entre 61 000 et 90 000 dollars (57 000 et 84 600 euros), la gamme de produits de Tesla n’a pas été étoffée depuis la Model Y, sortie en 2020. A la place, l’impulsif milliardaire semble s’entêter dans des projets de (très) long terme. A l’image du robotaxi - véhicule dépourvu de chauffeur humain - dont il prévoit une présentation le 8 août. Problème : un concurrent made by Google, Waymo, est déjà bien en place depuis quelques mois dans plusieurs villes américaines.

L’homme d’affaires mise aussi sur le développement de véhicules totalement autonomes. Pour rappel, les voitures Tesla se contentent pour l’instant d’un niveau 2 en la matière. C’est-à-dire qu’il demeure nécessaire de garder les yeux sur la route et les mains sur le volant. Et pourtant, sur X, le dirigeant vantait en mars : «La plupart des gens n’ont toujours aucune idée de combien le FSD [full self-driving, conduite 100 % autonome, ndlr] de Tesla sera terriblement bon. Ce sera tellement surhumain qu’il paraîtra étrange à l’avenir [de concevoir] que les humains ont conduit des voitures, même épuisés et ivres !». Une promesse qu’il rabâche depuis huit ans.

2024-04-16T15:03:24Z dg43tfdfdgfd