«EN FRANCE, TOUT EST FAIT POUR EMPêCHER LES PERSONNES PRIVéES D’ACQUéRIR DES MONUMENTS HISTORIQUES»

FIGAROVOX/TRIBUNE - À l’occasion des 41e Journées européennes du patrimoine, les 21 et 22 septembre, Vianney d'Alançon, créateur du parc de spectacles historiques Rocher Mistral, plaide pour réviser le code du patrimoine prévoyant les droits et devoirs des propriétaires.

Vianney d'Alançon est créateur du parc de spectacles historiques Rocher Mistral, propriétaire du château de La Barben et de la forteresse de Saint-Vidal, classés Monuments historiques et président de l'association Avenir Culture et Patrimoine.

La France compte vingt mille monuments historiques privés. Il y a seulement dix ans, cinq cents châteaux étaient à vendre, contre deux milles aujourd'hui. À quoi est-ce lié ? Le goût pour la pierre, la beauté et l'histoire a-t-il disparu ? Je ne le pense pas. Aucun propriétaire privé ne contestera le souci de préserver des savoir-faire ancestraux et des procédés constructifs séculaires. Les connaissances techniques de beaucoup des fonctionnaires du ministère de la Culture peuvent être fort utiles. Mais rien de cela ne justifie les excès auxquels nous assistons.

Malgré une fiscalité qui peut sembler avantageuse, tout est fait – ou presque – pour décourager les personnes privées de se porter acquéreurs de ce type de bien. L'époque est au florilège de lois coûteuses, quand elles ne sont pas ruineuses, de normes ubuesques et d'obligations plus curieuses les unes que les autres. Qui croirait en France, par exemple, que le propriétaire d'un monument historique a interdiction d'installer un parasol (ou tous autres types de décors, mobiliers ou jardinières) en intérieur ou en extérieur sans autorisation des services de l'État ?

Malheureusement, la réalité est bien celle-ci : le cadre législatif et normatif organise sciemment le viol de la propriété privée des monuments historiques détenus par des personnes privées. Un empilement de normes et de règlements qui finissent par oublier leur objet initial et qui, en privilégiant le formalisme sur l'essentiel, arrive à ce que le remède soit pire que le mal. Combien de petites églises romanes ou de châteaux se sont écroulées dans l'attente d'un diagnostic ?

Quant à l'argument immédiatement mis en avant par les partisans de ce système liberticide que ces droits sont la contrepartie des subventions publiques, il ne tient pas : ces subventions, souvent présentées comme des aides généreuses, sont en réalité un lot d'obligations et de surcoûts imposés par l'administration qui augmentent considérablement le prix des travaux. Elles ne prennent pas en compte l'exigence de vie et l'argent personnel que les propriétaires investissent pour maintenir ces monuments en état. Les propriétaires privés, loin de bénéficier d'un soi-disant privilège, se retrouvent ainsi en position de faiblesse, pris au piège d'un système qui méconnaît leurs droits fondamentaux tout en leur imposant des responsabilités écrasantes.

Il ne s'agit pas de s'attaquer aux hommes et aux femmes chargés de mettre en œuvre ces règles et ces mesures. Dans leur immense majorité ils ont la compétence technique et le souci de préserver notre patrimoine. Ce sont les règles qu'il faut changer pour changer les pratiques.

Il est possible de faire autrement et que l'on ne se trompe pas, il faut bien entendu conserver une protection sérieuse pour garantir la sauvegarde et la restauration du patrimoine, mais l'abus actuel est de taille. Ne perdons pas de vue que ces monuments sont destinés à être visité, voir – qui l'eut cru ? – habités pour certains d'entre eux. Malheureusement, nous sommes nombreux à constater qu'il y a également chez certains fonctionnaires une volonté idéologique derrière cette forêt de législation ubuesque. Tout semble être fait pour décourager le privé de faire vivre ces lieux.

Quand elle était ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, elle-même, avait évoqué «un fond idéologique d'extrême gauche». Elle parlait du cinéma français, mais le problème est présent dans tout le milieu culturel. Au sein d'une Drac, un conservateur régional n'a pas craint d'afficher ses sympathies anticapitalistes sur X (anciennement Twitter) ou un architecte des bâtiments de France, sympathisant LFI, de se retrouver au tribunal correctionnel pour militantisme au cours d'une instruction de demande d'autorisation de travaux sur un monument ou il était le décisionnaire.

Dans l'univers des monuments historiques, le rapport entre les privés, propriétaires de monuments historiques, et la Drac peut donner lieu à une collaboration enthousiasmante mais peut aussi être un choc des cultures. Se retrouvent face à face ceux qui portent à bout de bras des projets colossaux avec des moyens fragiles, et ceux qui, pour certains, s'interrogent sur le bien-fondé de la démarche tout en édictant les lois et normes qu'ils désirent car tel est leur bon plaisir. Le fossé est immense entre le propriétaire qui gère les fuites d'une toiture percée à minuit et celui pour qui tout s'arrête à dix-sept heures. Si j'alerte aujourd'hui, c'est parce que le risque est grand de continuer de faire fuir les générations futures. Qui rêve encore d'une maison où la couleur des rideaux est choisie par un fonctionnaire trop zélé ?

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Pourtant, les solutions et les exemples alternatifs ne manquent pas. En Angleterre, une organisation à but non lucratif, le National Trust, qui existe depuis 1895, travaille étroitement avec les propriétaires de biens privés de manière à encourager la protection et la mise en avant de ces lieux d'exceptions. Il est réputé pour avoir une grande souplesse, tout en ayant la pleine confiance de English Heritage. L'équivalent anglais de la Drac. De la même manière, en Espagne, l'association Hispania Nostra, se bat pour la visibilité et la protection des monuments historiques. Pour autant sans remettre en cause la grande liberté du cadre juridique législatif espagnol, qui permet notamment (de manière un peu excessive peut-être) à des particuliers d'aménager les bâtiments pour un usage commercial.

Si la France veut continuer à avoir des propriétaires qui s'engagent pour conserver et faire vivre des monuments historiques, il faut repenser la philosophie du code du patrimoine. Celle-ci doit être plus pragmatique et partenariale. Cela implique de reconnaître que chaque monument est unique, avec ses propres besoins et défis, et que les propriétaires sont souvent très bien placés pour comprendre et répondre à ces spécificités, accompagnés par le talent de nombreux architectes ou conservateurs du patrimoine. Elle doit rééquilibrer les droits et devoirs des Drac et des propriétaires, et protéger la liberté de ces derniers de faire, in fine, ce qu'ils souhaitent tant que l'impact sur le monument est inexistant. C'est une question cruciale. De la réponse qui sera apportée dans le futur dépendra la survie, ou pas, de ces vieilles bâtisses que les touristes du monde entier viennent admirer, et par là, créer de la valeur dans nos belles régions.

Gageons qu'en s'appuyant sur un code du patrimoine modifié, plutôt que de pleurer la perte de certaines de leurs prérogatives, les fonctionnaires qui ont choisi de servir au ministère de la Culture par amour du beau et de notre héritage, s'empareront de ces outils nouveaux. Gageons que, dans une collaboration étroite et bienveillante avec les propriétaires privés, et qu'elles que puissent être leurs convictions personnelles, ils œuvreront plus efficacement à la conservation de ce patrimoine que les Français sont heureux et fiers de pouvoir admirer.

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