CHRISTINE CARON, UNE ATHLèTE AUX MILLE VIES

La première véritable star féminine de la natation française, c’est elle. Christine Caron, mais de grâce, appelez-la « Kiki », a réussi sans doute l’une des performances les plus incroyables d'un sport qui ne jure que par les résultats : marquer l’histoire de sa discipline sans jamais forcément dominer les chronos et ses adversaires de la tête et des épaules. C’est purement factuel : dans les manuels qui adoubent les championnes du sport féminin français, Kiki Caron n’est pas – et ne sera jamais – l’égale d’une Laure Manaudou, ni même d’une Amélie Mauresmo, encore moins d’une Marie-Jo Pérec ou d’une Colette Besson, sa contemporaine dans les années 1960 – ensemble, elles participent même aux Jeux olympiques de Mexico 1968, Kiki au 100 mètres dos, Colette sur la piste d’athlétisme du 400 mètres. Mais cette titi parisienne pur jus née après-guerre, en 1948, a sans doute réussi bien plus que ça : elle est devenue une icône, une égérie. En un mot, un symbole.

Sa carrière de nageuse débute au Racing Club de France, où elle enchaîne les longueurs. Vite repérée pour son aisance en dow crawlé par son entraîneuse de l’époque, Suzanne Berlioux, elle se qualifie à 16 ans à peine pour les Jeux de Tokyo 1964. Mieux, au départ de la finale, elle est favorite pour remporter la médaille d’or. Mais la jeune américaine Cathy Ferguson ne l’entend pas de cette oreille, et remporte d’un ongle, c’est-à-dire de deux dixièmes de seconde à peine, le métal suprême. Même si Kiki ne décroche « que » l’argent dans les bassins nippons, cette breloque résonne dans le cœur des Français comme une médaille d’or. Les images où elle réconforte, tout sourire, une Ferguson en larmes ont fait le tour du monde. Une autre image marquera les esprits : quatre ans plus tard, aux Jeux de Mexico 1968, elle devient la première femme porte-drapeau d’une délégation française encore arc-boutée sur des principes patriarcaux. Du côté des hiérarques à moustache, plus habitués à gérer « leurs » Jeux comme on va au club de bridge, les dents grincent. Mais Kiki, ça l'amuse. Alors elle fonce. Tenue bleu ciel, petite robe chic, talons hauts, gantée et portant fièrement un chapeau, elle incarne ce jour-là à la fois l’élégance « à la française » et un vent de liberté qu'elle contribue à faire souffler.

Au cinéma dans La Piscine, forcément…

Car Kiki Caron est une jeune femme libre. Gouailleuse, frondeuse, coqueluche des médias, elle n’a pas sa langue dans sa poche et sait jouer avec les codes. Le général de Gaulle, fervent admirateur et pas le dernier pour lancer la plaisanterie, aimait la taquiner gentiment : « Dites-donc Madame Kiki, on vous voit plus souvent que moi à la télévision ! » À la télévision, et bientôt au cinéma. En 1968, à 20 ans à peine, elle décroche un petit rôle aux côtés d'Alain Delon et Romy Schneider – mais surtout aux côtés d'Alain Delon –, dans La Piscine, le drame tropézien en technicolor de Jacques Deray où pourtant, personne ne lui demandera d'enchaîner les longueurs. Puis un autre, trois ans plus tard, dans Le Lis de la mer, de Jacqueline Audry. Succombant à l'appel d'autres sirènes que celles des bassins, elle range définitivement son maillot une-pièce après les Jeux de Mexico pour embrasser diverses carrières, plus ou moins éphémères. Égérie mode, chanteuse de cabaret, pilote automobile – elle fera même le Paris-Dakar –, la désormais ex-championne publiera en 2006 sa biographie (sobrement intitulée Kiki, et préfacée par Johnny Hallyday) où elle revient sur les folles années qui ont fait d'elle « la petite chérie des Français ».

Aujourd'hui, à 76 ans, Christine Caron vit une retraite bien paisible. Dans la rue, du côté de la Croix-Catelan – elle nage encore au minimum trois fois par semaine au Lagardère Paris Racing –, quelques habitués se souviennent, la reconnaissent et la saluent de loin avec le respect dû à cette grande dame. Sur elle, le temps n'a pas de prise et coule comme quelques gouttes d'eau égarées sur une combinaison en Lycra. C'est ainsi : véritable icône du style et des bassins, le rayonnement de Kiki Caron dépasse encore aujourd'hui le cadre d’un dos crawlé qu’elle maîtrisait pourtant à la perfection.

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